2022

Sébastien de Castell, L’anti-magicien , 457

Elle ne riait pas quand elle trouvait ça drôle. Elle ne riait pas parce qu’elle en avait envie. Elle riait parce que c’était sa façon de dire au monde qu’elle refusait de le craindre.

Richard Malka, Le droit d’emmerder Dieu , 71

Jean-Marie Le Pen, président du Front National, le 2 février 2006 : « Les croyants ont droit au respect de leur croyance, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. » Non, ils n’en ont pas le droit, Monsieur Le Pen, il faut aller réviser votre droit à l’université.

Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication : « J’estime qu’il est aussi de devoir de ce quotidien [France Soir] de respecter les convictions religieuses et philosophiques de nos concitoyens » Eh bien non, Monsieur Donnedieu de Vabres, dont on aurait pu penser au regard de ses fonctions que lui, au moins, chercherait à protéger la liberté d’expression.

Richard Malka, Le droit d’emmerder Dieu , 72

Les croyances ne peuvent jamais exiger le respect. Seuls les hommes y ont droit. Aucune croyance, aucune idée, aucune opinion ne peut exiger de ne pas être débattue, critiquée, caricaturée.

Parce qu’à défaut, on n’accepterait plus de vivre qu’entre personnes pensant la même chose. Et tout débat, toute controverse sera estimée « offensante ». C’est le chemin de l’obscurantisme. Les idées, ça se confronte et ça se débat.

R. Scott Gemmill, Urgences , épisode 13

  • Il paraît déprimé. Tu devrais lui parler.

  • Il est européen. C’est son état normal.

Milan Kundera, Un Occident Kidnappé , 21

Briser à ce moment-là la croissance d’une culture aussi fragile, d’abord par l’occupation, puis par le stalinisme, pour presque un quart de siècle, l’isoler du reste du monde, amenuiser ses multiples traditions intérieures, la rabaisser au rang d’une simple propagande fut une tragédie qui risquait de reléguer la nation tchèque une nouvelle fois - et cette fois-ci définitivement - à la périphérie culturelle de l’Europe.

Milan Kundera, Un Occident Kidnappé , 24

C’est qui un vandale ? Non, ce n’est point le paysan analphabète qui, dans un accès de colère, met le feu à la maison du riche propriétaire terrien. Les vandales que je croise, moi, sont tous lettrés, contents d’eux-mêmes, jouissent d’une assez bonne position sociale et n’ont pas spécialement de ressentiments envers quiconque. Le vandale, c’est l’étroitesse d’esprit qui se suffit à elle-même et est prête à tout moment à réclamer ses droits. Cette fière étroitesse d’esprit croit que le pouvoir d’adapter le monde à son image de ses droits fait partie de ses droits inaliénables et, vu que le monde est majoritairement composé de tout ce qui la dépasse, elle adapte le monde à son image en le détruisant. Ainsi un adolescent décapite-t-il une statue dans un parc parce que cette statue dépasse outrageusement sa propre essence humaine, et puisque chaque acte d’auto affirmation apporte de la satisfaction à l’homme, il le faut en jubilant.

Milan Kundera, Un Occident Kidnappé , 28

Je n’aime pas quand on met sur un même pied d’égalité le fascime et le communisme. Le fascisme basé sur un antihumanisme décomplexé a créé une situation relativement simple sur le plan moral : s’étant lui-même présenté comme l’antithèse des principes et des vertus humanistes, il les a laissé intacts. En revanche, le stalinisme fut l’héritier d’un grand mouvement humaniste qui, malgré la rage stalinienne, a pu conserver bon nombre de postures, d’idées, de slogans, de paroles et de rêves d’origine.

Milan Kundera, Un Occident Kidnappé , 47

L’Europe centrale voulait être l’image condensée de l’Europe architeuropéenne, modèle miniaturisé de l’Europe des nations conçue sur la règle : le maximum de diversité sur le minimum d’espace. Comment pouvait-elle ne pas être horrifiée par la Russie qui, en face d’elle, se fondait sur la règle opposée : le minimum de diversité sur l’espace maximal ?

Milan Kundera, Un Occident Kidnappé , 53

« Les Russes aiment appeler slave tout ce qui est russe pour pouvoir plus tard nommer russe tout ce qui est slaveé, proclama déjà en 1844 le grand écrivain tchèque Karel Havlicek, qui mettait ses compatriotes en garde contre leur russophilie bête et irréaliste.

Woodie Guthrie,

I ain’t a communist necessarily, but I’ve been in the red all my life.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 11

Les Romains vivent une sorte de deuil familial ; ils mesurent ce qu’ils ont perdu à l’aune de leurs habitudes. Leur première impression est celle d’une vie quotidienne gâchée ; l’effondrement économique et la régression viennent plus tard. Ainsi le poète Rutilius Namatianus n’est pas long à repérer les signes de barbarisation : les maisons reconstruites ne lui paraissent pas aussi solides que les anciennes, faute d’ouvrier sachant maçonner avec du mortier et des tuiles au crochet ; les gens se sont appauvris puisqu’on trouve de moins en moins de monnaies divisionnaires et qu’ils en sont réduits au troc, signe indubitable de barbarie pour un Romain.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 12

Quant aux règlements admninistratifs, ils portaient encore la marque impériale après la chute de Rome : au concile de Francfort, en 794, Charlemagne rappelle que la puissance centrale a autorité sur la fixation des prix et des fonds ; etn le royaume de Bourgogne a beau être dans l’orbite théorique de ces Francs si peu romains, ses lois viennent pour l’essentiel de Rome.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 13

En proposant un choix biaisé entre récupération ou muséification laissé à l’abandon, les chrétiens réalisèrent un coup de maître. Rome et son histoire étaient circonscrites à un temps héroïque désormais clos, celui des Anciens. Sur leurs épaules étaient juchés des Modernes qui pouvaient s’appropier le principe fondateur du régime impérial : une alliance inégale entre les individus que rien ne prédisposait à vivre ensemble, compensée par la bienfaisance ostentatoire des puissants, ceux-ci donnant beaucoup et de manière ritualisée en contrepartie de leur autorité. En utilisant le don ritualisé et répétable à volonté du chef - la communion pendant la messe -, les chrétiens allaient faire admettre qu’une répartition sociale de hasard serait corrigée dans l’au-delà : les pauvres d’aujourd’hui seraient riches, un jour. L’inventaire de ce royaume imaginaire où l’on vivrait éternellement signait la fin du monde romain.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 40

Mais ce désastre climatique paraît une explication trop opportune aux croisés de l’écocide contemporain, soucieux de montrer la désertification de l’île de Pâques comme un modèle réduit de ce qui nous menace si nous persistons à conduire des activités humaines débridées. C’est ainsi que le mystère des statues est revenu au premier plan. En analysant l’érosion subie par le tuf volcanique dont les colosses sont constitués, on a peu établir qu’ils avaient été érigés pour la plupart entre 1600 et 1730, en pleine crise climatique. Dès lors, le scénario de la folie autodestructrice des hommes prend corps. Les 600 géants de pierre auraient été construits pour conjurer la menace écologique, leur nombre comme leur taille s’expliqueraient par une surenchère entre clans. La rivalités des hommes avait ainsi accéléré les effets de la sècheresse. Acharnés à construire des bateaux, cuisiner, se chauffer, transporter leurs totems malgré un bois devenu rare, les Pascuans se seraient décimés autant par un exhibitionnisme stérile qu’au long de guerres tribales.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 75

Et voilà qu’en 1919, les Américains décrétaient que l’immigration européenne n’était plus une ressource mais un danger et ces anciens débiteurs devenus créanciers exigeaient leur dû. En Europe, cette attitude avait un nom : la politique du vide. Au lieu de remplir les Etats-Unis, le flot humain allait se déverser dans un vieux monde dévasté pour avoir servi de champ de bataille dans une guerre oecuménique et dont les habitants se hérissaient à l’idée d’accueillir des étrangers si bien qu’on inventa le passeport olibgatoire pour franchir les multiples frontières dessinées par les Traités de paix. Quant à l’or des Européens, il sortait des coffres-forts en direct de Washington avant de revenir sous forme de crédits destinés à réparer les ravages de la guerre et à disposer des moyens militaires nécessaires à une autre destruction.

Nicols Werth, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 85

Les rapports quotidiens de la police politiques sur le front de la collectivisation permettent de prendre la vraie mesure des résistances paysannes : près de 14.000 tumultes, désordes, manifestations de masses, émeutes et rébellions éclatent au cours de l’année 1930 (dont plus de 8000 pour les seuls mois de février-mars). Par leur ampleur, ces résistances contraignirent - fait unique durant l’ensemble de la période stalinienne - le groupe dirigeant au pouvoir à reculer et à proclamer une pause dans le rythme effréné de la collectivisation.

Nicolas Werth, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 88

Staline en personne rédigea la loi du 7 août 1932, qui permettait de condamner à dix ans de camp, voire - en cas de vol aggravé - à la peine de mort, toute dilapidation de la propriété sociale. Dans les mois qui suivent, la promulgation de ce texte, des centaines de milliers de paysans ayant coupé quelques épis dans les champs collectifs pour survivre furent condamnés à de lourdes peines de travaux forcés et envoyés au Goulag. […] La famine fut le prix à payer de cette terreur : plusieurs centaines de morts dans la région de la Volga, autant au Kouban, entre 3 et 4 millions de morts en Ukraine (sans parler des 1,4 million de morts au Kazahstan). Dans le cas de l’Ukraine, comme le montre la correspondance de Staline avec ses plus proches collaborateurs, notamment Kazanovitch et Molotov, les dirigeants soviétiques ont délibérément décidé à partir de l’été 1932, d’aggraver la famine qui commençait, de l’instrumentaliser pour punir la paysannerie ukrainienne, considérée comme le réservoir et le vivier d’un nationalisme perçu comme sa principale menace au projet de construction d’un Etat soviétique centralisé et dictatorial. […] Le 22 janvier 1933, Staline en personne rédige une directive secrète ordonnant de mettre immédiatement fin à l’exode des paysans qui fuient l’Ukraine et le Kouban sous prétexte d’aller chercher du pain. Pour Staline, ces fuyards affamés sont manipulés par les services secrets polonais et n’ont pour seul objectif que de discréditer le sytème kolkhozien en répandant de fausses rumeurs. Dès le lendemain, la police politique déploie des patrouilles autour des routes et des gares, la vente de billets de chemin de fer est suspendue, les fuyards interceptés renvoyés dans leur village ou incarcérés. Aucune aide alimentaire n’est débloqué pour les affamés : là-bas des gens meurent dans un silence généralisé. Le terme qui sert à désigner aujourd’hui en Ukraine la famine de 1932-1933, Holodomor, est explicite : il résulte de la fusion des mots golod (la faim) et moryty (tuer par privation).

Edouard Husson, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 90

En deux ans, les conséquences catastrophiques de la politique de Brüning apparurent dans l’électorat. Le résultat des élections de juillet 1932 éclata comme une coup de tonnerre. Face au NDSAP, il ne restait guère que trois partis, à peu près égaux en force mais dont l’alliance était impossible : le KPD, le SPD et le Zentrum. Aucune combinaison deux à deux n’était envisageable. […] Encore faut-il noter qu’elle n’aurait pas suffi : seule la combinaison des trois forces pouvait être majoritaire. Hilter n’avait plus qu’un obstacle devant lui mais il lui restait peut-être, contrairement aux apparences, le plus difficile à effectuer : s’imposer dans un jeu des élites où il partait avec un préjugé défavorable du président Hindenboug, son seul vrai rival lorsqu’il s’agissait de conquérir les suffrages. […] C’est une leçon essentielle de la crise des années 1929-1933 en Allemagne. Les élites qui étaient à l’origine de la catastrophe sont aussi celles qui, au nom de la résolution de la crise, en vinrent à aggraver celle-ci. Après la réunion de Dusseldorf, plusieurs entreprises allemandes commencèrent à prendre au sérieux l’hypothèse Hitler.

Anthony Rowley, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 100

L’URSS ne livrait ni pétrole, ni matières premières ; de leur côté, Polonais, Yougoslave et Roumains soutenaient la Tchécoslovaquie, ces derniers annonçant qu’ils interrompaient leurs livraisons de pétole au Reich en cas d’agression. Enfin, début octobre, la commission de défense du Reich avertit Goering qu’il était impossible de satisfaire les demandes de l’armée en vue de l’occupation des Sudètes, tout en faisant construire une ligne fortifiée à l’ouest [la ligne Siegfried] et en assurant la marche de la machine industrielle. Au-delà du 10 octobre, la catastrophe économique est inévitable. La fallut un mois au Reichmarshall et à Hitler pour admettre l’évidence : il n’y avait plus un ouvrier, ni une machine, ni un mark disponible. Soit une situation comparable à celle de l’automne 1917 lorsque commença la lente désintégration de la machine de guerre du Kaiser. Voilà qui nous ramène à Munich : comment expliquer que les Franco-Britanniquess n’aient pas pris la mesure des faiblesses allemandes, ni exploité l’occasion offerte par Hitler de lui porter un coup d’arrêt, sans doute décisif ? Sur le moment, cela tient à une erreur de jugement, imputable pour l’essentiel aux Français. En août 1938, le chef d’état major de l’aviation, Joseph Vuillemin rentra d’une visite en Allemagne estomaqué par les démonstrations de la Luftwaffe auxquelles il avait été convié. Il carillonna son inquiétude auprès des ténors politiques. […] Seulement ses sympathies nazies auraient dû mettre la puce à l’oreille des dirigeants. Pas le moins du monde ; le vieux truc des villages Potemkine - le decorum caché misère avait marché grâce aux talents de bateleur d’Hermann Goering et consorts.

Jean-Luc Domenach, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 114

Une présentation communément admise est que le régime communiste chinois était à l’origine ordonné et bénévole, et qu’il est par la suite devenu délirant et cruel Elle est fausse. Dès l’origine, il s’engage dans une expérience totalitaire dont il a modifié le tracé, progressant si l’on peut dire des massacres de la conquête aux famines de l’utopie productiviste puis aux délires de la Révolution Culturelle. Cette évolution en cascades du pire à d’autres pires aurait peut-être pu être interrompue dans un autre régime et avec d’autres dirigeants. Cela ne fut pas, car le PCC avait été transformé en un organe de terreur par les conflits internes et par les guerres, et parce qu’il avait fini par se laisser capter par un seul homme, Mao Zedong, tout aussi obsédé par le pouvoir qu’incapable de l’exercer tout seul. Il aura eu dans sa carrières deux illuminations stratégiques : la découverte de la voie paysanne en 1925, et vers 1935-1936 l’intuition que l’invasion japonaise épuiserait le parti nationaliste, offrant ainsi à l’Armée rouge l’occasion de la victoire. Mais comment aurait-il pu accéder au pouvoir sans ses généraux, les Zhu De, Peng Dehuai et Lin Biao et sans l’appareil patiemment forgé par Liu Shaoqi dans les bases rouges de Chine du nord ? Mao ne pouvait pas se passer d’eux, et pourtant il ne les supportait pas non plus : la trame de l’histoire politique chinoise était d’emblée en place.

Fabrice d’Almeida, Crises, chaos et fins de monde, des Mayas au krach de 2008 , 133

Au lieu de sortir le pays de la crise, Alfonsin l’y enfonce un peu plus. La dette s’accroît. L’inflation franchit un cran et s’élève désormais à près de 600% par an. En 1985, le président joue son va-tout en proclamant le blocage des salaires et des prix et en créant une nouvelle monnaie : l’austral. Il jugule l’inflation. Malgré son échec à faire annuler une partie de la dette bancaire, le gouvernement retrouve une popularité : chacun se prend à espérer de nouveau. Cependant, quand en 1986, les prix sont libérés sur les conseils pressants du FMI, la folie se déchaîne bientôt sous la forme d’une hyperinflation. L’austral perd brutalement toute valeur avec une inflation à trois chiffres en 1988 et 1989.