XD blog

blog page

iconomie


2013-05-15 Les bénéfices d'une thèse

Lorsqu'un de mes élèves me demandait si je lui conseille de faire une thèse, ma première réponse était de lui dire que le diplôme d'une grande école est souvent peu visible à l'étranger. Pour l'avoir vécu au sein d'une compagnie américaine, la thèse est un diplôme auquel les anglosaxons accordent de la valeur. La thèse ouvre plus de portes à l'international. Malgré tout, on me rétorque que l'image du thésards en France est plutôt celle d'un travailleur paresseux qui aime trop la recherche et pas assez les aspects techniques rébarbatifs mais incontournables. Aujourd'hui, je trouve ma réponse quelque peu réductrice.

Le monde change sans cesse. C'est sans doute une lapalissade que de dire cela mais je dirais qu'il change plus vite aujourd'hui d'hier. La plupart des boulots répétitifs est en train de disparaître, il ne s'agit pas de nouvelles techniques qui rendent les précédentes obsolètes mais de nouvelles techniques qui nous rendent obsolètes. L'économie n'est plus celle des produits mais celles des idées, ou elle mute progressivement en iconomie comme le souligne Michel Volle sur son blog. Il paraît naturel alors que la durée des études s'allonge et qu'elles se poursuivent par une thèse. D'ailleurs, peut-être un jour n'existera-t-il plus de limite entre les études et le travail.

De mon point de vue, faire une thèse est un choix qui se défend. Les grandes écoles françaises ont tendance à former des ingénieurs généralistes. Leur force réside avant tout dans le processus de sélection mis en place en amont. Bien sûr, chaque école est spécialisée mais des passerelles existent. Chaque diplômé a une grande latitude dans le choix de son futur boulot. Pourquoi faire une thèse si on considère que cette sélection est efficiente ? Si on exclue les technologies de pointe, la formation d'un étudiant en master recouvre bien souvent des aspects beaucoup plus techniques que ceux qu'il utilisera au quotidien dans son travail. Sa première tâche sera d'acquérir les codes et concepts d'un métier. Cette stratégie était valable il y a vingt ans mais aujourd'hui, on n'est plus assuré que son métier ne va pas disparaître d'ici cinq ans. Il est essentiel de ne pas cesser d'apprendre pour éviter de se retrouver sur le carreau.

Selon moi, la principale raison qui rend les sociétés réfractaires est la nature risquée de la recherche. Un thésard peut chercher trois ans - un temps long - sans rien trouver ou tout du moins sans compenser le temps perdu qu'il aurait pu passer à faire des choses plus utiles et surtout à la réussite plus certaine. Pourtant la thèse est l'occasion de se spécialiser, d'acquérir un savoir qu'on ne peut incorporer au cursus généraliste des grandes écoles. Ces trois années sont un apprentissage très poussé qui m'aura donné la capacité d'aller vite sur une grande multitude de problèmes par la suite. Le fait d'avoir pu explorer en détail, de faire des erreurs m'aura permis de me spécialiser dans un domaine et d'y exceller.

La thèse, c'est un peu comme si on me demandait de jouer des parties d'échecs rapides après avoir passé trois ans à jouer des parties longues : je joue des coups en deux secondes tout simplement parce que j'y ai réfléchi pendant des jours il y a cinq ans.

Je suis conscient qu'une compagnie privée peut voir d'un mauvais oeil le fait d'avoir à continuer à financer la formation d'un bac +5. Toute thèse comporte forcément un risque et elle peut considérer qu'il s'agit d'un devoir régalien. Concernant le risque financier, les thèses CIFRE sont subventionnées ainsi que l'emploi des jeunes docteurs pendant deux ans après la thèse via le crédit impôt recherche. Le risque risque financier est donc réduit. Accueillir un thésard au sein d'une entreprise veut dire aussi le former aux outils de la société, cela veut dire aussi encadrer une personne qui le sera également par son directeur de thèse, qui devra passer un à deux jours par semaine à l'université, qui devra continuer à aller de temps en temps en cours. Ce sont des contraintes qui ne s'inscrivent pas bien dans un contexte où la plupart des employés arrivent le matin et repartent le soir chaque jour de la semaine. Dans la mesure où les emplois sont de moins en moins répétitifs et nécessitent de plus en plus de réflexion, je dirais que les rythmes de travail vont devenir de moins en moins réguliers. Certaines compagnies proposent des vacances illimitées. Je pense que la formation continue occupera une place de plus en plus prépondérante. Elle sera autant nécessaire pour l'employé s'il ne veut pas se retrouver sans travail que pour la société qui doit conserver sa capacité à innover.

Je concluerai néanmoins par une note négative, pas forcément reliée à la thèse mais plutôt à l'évolution récente et rapide du système économique. Hannah Arendt a écrit dans Du mensonge à la violence :

Notre siècle est sans doute le premier au cours duquel les changements intervenus dans les choses de ce monde dépassent les changements intervenus parmi les habitants. [...] Il est bien connu que le révolutionnaire le plus extrémiste deviendra conservateur le lendemain de la révolution. L'aptitude au changement n'est pas plus illimitée dans l'espèce humaine que sa capacité de préservation, la première étant réduite par l'influence du passé sur le présent et l'autre par le caractère imprévisible de l'avenir.

Sommes-nous préparés ?


Xavier Dupré